par Andreas KAPPELER, traduit de l'allemand par Guy Imart
ISBN 978-2-7204-0319-9, 1997, 224 p., 5 cartes
Le livre d'Andreas Kappeler [...] a l'avantage d'ouvrir une infinité de pistes restées fermées au public occidental.
Je ne connais pas de meilleur antidote que ce livre aux aberrations répandues depuis deux siècles par les historiens occidentaux de la Russie qui répètent si docilement ce que les historiens russes veulent que l'on pense de leur empire. Ce livre demande des lecteurs de bonne foi. Le lecteur habitué aux stéréotypes fallacieux de "Russie kiévienne" pour parler de la Rous ; à celui de "réunification" pour parler de l'alliance passagère et partielle de 1654 ; à celui de "retour" de "terres de toute éternité russes" (iskonno rousskie) pour désigner les annexions de 1772 ou celles des "territoires de haute antiquité russes" (izdrevie russkie) pris à la Pologne en 1793 et 1795, ce lecteur devra forcément s'interroger sur la validité des images légitimatrices par lesquelles la Moscovie, très tard devenue Russie, a réussi à ancrer l'idée qu'elle était Grande face à une prétendu Petite-Russie. [...]
Mais la leçon de Kappeler est surtout dans la révision des stéréotypes. Sa qualité première est son approche plurielle. Fidèle à la méthode qu'il avait choisie pour sa Russie, empire multiethnique, l'auteur nous présente un pays où se sont croisés, fondus ou combattus une quantité de groupes raciaux, linguistiques, religieux dont chacun a laissé une empreinte et dont l'accord ou les heurts ont modelé une nation ukrainienne irréductible et pourtant liée de mille liens à ses voisin proches ou lointains.
La pluralité fonde ainsi la singularité et ce livre nous fait appréhender la place fécondante des éléments exogènes de la nation ukrainienne, qui ne serait pas elle-même sans ses Juifs, ses Arméniens, ses Polonais, ses Lituaniens, ses Russes, ses Allemands, ses Hongrois, ses Moldaves, voire ses Français.
Daniel Beuavois